RUBIS RED LE DOUANIER Je ne suis pas un imbécile moi, Je suis douanier. Je n'aime pas les étrangers ! Ils viennent manger le pain des Français... Ouais ! C'est curieux : comme profession, je suis douanier, Et puis je n'aime pas les étrangers... Quand je vois un étranger qui arrive, Puis, qu'il mange du pain, Je dis : “Ça, c'est mon pain !“ Puisque je suis Français, Et puis, il mange du pain français, Donc, c'est mon pain à moi. Je n'aime pas les étrangers Parce que moi, je suis Français, Et je suis fier d'être Français. Mon nom à moi, c'est Koulakiastensky du côté de ma mère... Et Piazzano-Venditti du côté d'un copain à mon père. C'est pour vous dire si je suis Français ! Je n'aime pas les étrangers, Ils viennent manger le pain des Français… Dans le village où on habite, on a un étranger ; Alors, quand on le voit passer, On dit : “Tiens, ça, là, ... ». On le montre du doigt, Comme un objet… Un étranger… Il vient manger le pain des Français... Quand sa femme passe, la tête basse, avec ses petits enfants qui baissent la tête; on dit : “Ça, ça là, c'est des étrangers : ils viennent bouffer le pain des Français.“ L'autre dimanche, dans mon village, J'avais été - c'était à la sortie de la messe de dix heures - J'avais été communié au café d'en face. Il y a l'étranger qui a voulu me parler. Moi, j'avais autre chose à faire, pensez, Parler avec un étranger. J'avais mon tiercé à préparer... Enfin, du haut de ma grandeur, j'ai daigné l'écouter... Il m'a dit : « Ne pensez vous pas qu'à notre époque 1972, C'est un peu ridicule De traiter certaines personnes d'étrangères, Nous sommes tous égaux. Voilà ce que j'avais sur le cœur, Je voulais vous dire ça, Monsieur le Douanier, Vous qui êtes fonctionnaire et très important, Vous qui avez le bouclier de la Loi... Nous sommes tous égaux. On peut vous le prouver : Quand un chirurgien Opère un cœur humain, Que ce soit au Cap, à Genève, à Washington, à Moscou, à Pékin, Il s'y prend de la même manière : Nous sommes tous égaux. » Andouille ! Venir me déranger pour dire des inepties pareilles ! Il a poursuivi... Ils sont tellement bêtes ces étrangers, Ils viennent manger le pain des Français. Il m'a dit... : « Est-ce que vous connaissez une race Où une mère aime davantage Ou moins bien son enfant qu'une autre race ? » Là, je n'ai rien compris à ce qu'il a voulu dire... J'en ai conclu qu'il était bête... En effet, lorsque quelqu'un s'exprime Et que l'on ne comprend pas ce qu'il dit, c'est qu'il est bête ! Et moi, je ne peux pas être bête .... Je suis douanier. “Va-t-en, étranger !“ Il m'a répondu: « J'en ai ras-le-bol. Chaque race a sa noblesse.» Il a pris sa femme, sa valise, ses enfants, Ils sont montés sur un bateau, Ils ont été loin au delà des mers, loin... Et, depuis ce jour là, dans notre village, Eh bien, On ne mange plus de pain ! Il était boulanger ! FERNAND RAYNAUD 1926 - 1973
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