S’il existe des hommes hors norme, des êtres profondément singuliers, des sujets qui tracent leur chemin sans se préoccuper des discours établis et des façons de faire communes, alors peut-être Massou pourrait devenir leur prophète. Jean-Marie Massou approche les soixante-dix ans. Il ne sait ni lire, ni écrire et vit totalement seul, isolé en pleine forêt bouriane. Ce n’est pas un homme qui court le succès ou la recon- naissance, il feint même de s’étonner de notre intérêt pour les centaines de cassettes audio qu’il enregistre du fond de sa maison, sur ses magnétophones portables comme on en voyait dans les chambres d’enfants des années 80. Mais il n’est pas sans savoir qu’il intrigue et intéresse son public. Massou a déjà subjugué son monde quand, pendant plus de trois dé- cennies, il creusait des gouffres gigantesques et des galeries souterraines à la seule force surhumaine de ses bras. Une mission, comme il le dit. « La Mission universelle » qui vise à prévenir l’humanité que le monde va à sa perte, qu’il s’agit de protéger ceux qui restent. On re- trouve cela dans le documentaire « Le Plein Pays » qu’Antoine Boutet a réalisé sur cet étrange Massou. Avec SODOROME, c’est sa voix que l’on cherche à faire entendre, sa voix et sa musicalité. Parce que Massou n’est pas simplement étrange, il est surtout impliqué comme peu s’y auto- rise dans la création, et ses enregistrements prennent aujourd’hui la grande majorité de son temps, il utilise plusieurs magnétophones pour créer des boucles ou des habillages sonores, réenregistre le son plusieurs fois pour créer l’effet voulu, etc. Il y inscrit des bribes de sa vie, il y invente des histoires, y joue des sketchs, ou garde en mémoire les rêves prémonitoires de la nuit passée. Ce qui sidère c’est que Massou s’adresse à un auditeur potentiel, à une oreille lointaine, nous ne sommes donc que des intermédiaires. On pense donc à ce que disait Du- buffet, « De l’art où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non, celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe ». Même s’il accepte, quand on le rencontre, de jouer le jeu du chanteur de charme, donnant de la voix, a capela au-dessus de la citerne qui prend l’eau derrière la maison. Et là, on touche à l’os du sensible, celui qui soutient les chants populaires comme les chœurs antiques ou religieux, ces airs qui traversent l’histoire et l’humanité dans son entier. On ne peut pas être indemne de la musique de nos jours, et on capte la radio même au fond de la forêt, alors Massou fait aussi avec l’ère du temps, il bricole avec les outils contemporains, la radio qu’il enregistre, les cassettes comme support de montage et comme outil de diffusion, les dvd pour en extraire les bandes-sons etc. On s’approche franchement d’une musique concrète lo- ou de collages expérimentaux. C’est peut-être ça les pratiques brutes de la musique, cette façon d’approcher les mêmes préoccupations mais par des voies tout ce qu’il y a de plus personnelles. Olivier Brisson La Belle Brute
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