Un soleil écrasant exerce son inflexible dictature, à 800 kms de Bamako, au cœur du Mali, à la frontière brûlante du Sahel... Un immense plateau de grès, où l'on ne repère aucun filet d'eau, s'arrête sur la falaise de Bandiagara, longue de 200 kms... C'est le pays Dogon. Entre la plaine et le plateau, l'eau, si rare, est une perpétuelle angoisse. Les femmes acceptent, depuis des générations, d'affronter chaque jour un territoire hostile, des failles vertigineuses, mais comment pourraient-elles se passer d'eau ? Niché sur la falaise, le village de Douroux réunit 350 âmes... La sécheresse de la terre, le sable et le vent, les pluies insignifiantes, font des Dogons des agriculteurs héroïques... L'oignon est curieusement la spécialité des Dogons. Une culture traditionnelle qui réclame beaucoup d'eau. Entretenir ces jardins relève de l'exploit. Et d'une discipline militaire ordonnée de mains de maître par Amadou, le « chef de l'eau». Il rationne. Et il a l'œil... Une mare à l'agonie... tout ce qui reste des dernières pluies pour arroser les jardins. L'anxiété se lit sur le visage d'Amadou... « Je suis inquiet, c'est que vraiment il ne pleut pas beaucoup, et que c'est la seule eau. Vraiment quand on prend beaucoup on risquerait à trois mois de ne plus avoir de l'eau. » Chaque villageois vit ici de l'agriculture et récolte l'oignon, en famille, dans ses carrés de terre... Malgré des conditions impossibles, on produit tout de même plusieurs milliers de tonnes d'oignons par an. Avec un rationnement exemplaire de l'eau, la plus importante source de revenus du pays se maintient... Malgré les suppliques des anciens, les nuages ne sont pas généreux au-dessus du pays Dogons : 60 jours de pluie par an ! Un taux de pluviométrie parmi les plus bas du monde. Savoir gérer l'eau, ne pas gaspiller, relève de la survie. Chaque parcelle d'un-mètre-carré est conçue pour mieux retenir l'humidité... En sortant d'une terre aride, les oignons consacrent des mois d'efforts et de privation car l'apparente fraîcheur des jardins ne peut faire oublier l'enfer lunaire, écrasé de chaleur, qui entoure les parcelles travaillées par les Dogons Les Dogons sont devenus, au prix d'efforts surhumains, les premiers producteurs d'oignons rouges d'Afrique. Des éboulis de la falaise, les femmes extraient le banco, une terre mélangée à de la paille et de l'engrais, pour mieux cultiver. Jour de marché à Douroux... Caddie vient une fois par semaine vendre les oignons qu'elle cultive avec son mari... Les femmes sont chargées de négocier. Palabres, marchandages, elles animent le marché. On vend, on achète, et on troque... Les grossistes emportent à chaque fois plusieurs tonnes d'oignons... de lourds ballots partent pour Bamako, la capitale où ils sont expédiés vers tout le continent africain. Amadou n'est pas seulement le gardien redouté de l'eau des Dogons... Quand il ne rationne pas, il travaille à de nouvelles stratégies pour mieux gérer l'eau. Les agriculteurs l'ont élu pour cela, il y a 5 ans. Aussi surveille-t-il avec fierté l'avancement d'un barrage qui peut tout changer... On a construit plus de 200 barrages comme celui-ci dans tout le Mali afin d'aider le travail compliqué des agriculteurs et c'est un français, l'ethnologue Marcel Griaule, dont le souvenir est encore vivant ici, qui fait construire le premier barrage. Il entreprend en 1930 la traversée aventureuse de toute l'Afrique de l'Ouest pour s'arrêter en pays Dogon. Il y étudie les rites et les traditions de ce peuple courageux qui tente de maîtriser la nature. Précurseur du développement durable, il sait que son barrage aidera les Dogons à poursuivre l'indispensable culture de l'oignon... Rien n'a fondamentalement changé, depuis Marcel Griaule, sur la falaise de Bandiagara... Les mêmes rites, le même travail de la terre, les mêmes oignons... et la crainte de plus en plus palpable de manquer, un jour, de l'eau sacrée sans laquelle aucun avenir n'est possible. La sécheresse est toujours plus oppressante. Et le désert, chaque année, plus envahissant... Pour Amadou, comme pour tous les Dogons, seuls les génies, ces êtres impalpables, imprévisibles, et foncièrement bienveillants, peuvent faire revenir l'eau. Au village, il y a partout des signes de la vénération portée à NOMMO, dieu de l'eau et maître de la vie. À chaque recoin de porte, chaque trou dans la pierre, un masque, une statuette porte les espoirs d'un peuple qui travaille autant qu'il prie pour voir, bientôt, ruisseler un peu d'eau.
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